La Communication NonViolente[1]
La Communication NonViolente[2](CNV), élaborée par Marshall Rosenberg, est à la fois une méthode et une posture relationnelle visant à créer ou restaurer la qualité du lien entre personnes. Elle s’appuie sur quatre étapes simples — observation, sentiments, besoins, demande — qui, correctement pratiquées et soutenues par une intention empathique, transforment les échanges, y compris en contexte professionnel et commercial. En distinguant besoins (universels) et stratégies (multiples), la CNV ouvre l’espace des options et facilite l’émergence d’accords satisfaisant réellement les parties. Elle est particulièrement pertinente en médiation, où elle aide à clarifier les enjeux humains derrière les positions juridiques ou financières.
1) Nature et intention
La CNV est une grammaire relationnelle et un art de vivre. Plus qu’une technique d’expression, elle propose une intention préalable : chercher à créer ou à restaurer la qualité de la relation, plutôt que « convaincre » ou faire plier l’autre. Cette intention fonde l’éthique de la démarche : on peut parler avec fermeté — y compris exprimer sa colère — pour autant que l’expression ne devienne ni violence verbale ni violence psychologique . L’appellation « Communication NonViolente » traduit l’ahimsa (absence de violence) : accueillir toutes les émotions et les exprimer d’une façon qui ne blesse pas.
2) Le processus en 4 étapes
a) Observation. Il s’agit de décrire des faits vérifiables, sans jugement ni évaluation. L’observation est ce que relateraient deux témoins impartiaux ou un enregistrement. Commencer par une observation accroît l’adhésion de l’interlocuteur et diminue la charge accusatoire. Exemple : « Votre rapport est remis mercredi au lieu de mardi et il manque les références demandées » plutôt que « Vous êtes négligent ».
b) Sentiments. Identifier ce qui est « vivant » en soi : colère, tristesse, surprise, découragement, inquiétude… Cette étape suppose d’aller sous le « premier » affect pour déceler le sentiment sous-jacent (p. ex. la fureur peut masquer la tristesse ou la peur). Elle requiert aussi de ne pas confondre un jugement déguisé en sentiment (« je me sens blessé par toi ») avec l’affect proprement dit. Apprendre à reconnaître et accepter ses émotions — et à ne pas juger celles d’autrui — change la qualité du dialogue.
c) Besoins. Spécificité de la CNV, les sentiments sont mis en lien avec des besoins universels : sécurité, respect, compréhension, reconnaissance, autonomie, appartenance, sens, jeu, repos, etc. Les besoins sont indépendants des personnes et des choses : dire « j’ai besoin de toi » ou « j’ai besoin d’argent » désigne en réalité une stratégie (moyen) au service d’un besoin (fin). Cette distinction rend du pouvoir d’agir : si une stratégie est indisponible, d’autres peuvent satisfaire le même besoin. En médiation, c’est un pivot : les conflits portent sur les solutions (stratégies), jamais sur les besoins (universels).
d) Demande. Formuler une action concrète, réaliste, vérifiable, et ouverte à un « non ». « Ne fais plus jamais ça » n’est pas opératoire ; « Peux-tu confirmer le délai de rendu et me dire si tu as toutes les infos pour répondre aux points A/B/C ? » l’est. Si l’autre refuse, c’est qu’un de ses besoins resterait insatisfait : on continue alors à explorer jusqu’à une option qui tienne compte des besoins des deux côtés.
3) Besoins vs. stratégies : ouvrir le champ des options
La CNV insiste : il existe plusieurs manières de satisfaire un même besoin. Par exemple, l’« argent » est une stratégie souvent reliée à la sécurité, à la reconnaissance ou à la liberté (voyager, contribuer, etc.). En négociation, confondre besoin et stratégie enferme chacun dans une position. En dissociant les deux, on élargit la palette des solutions : on quitte « ma solution contre la tienne » pour co-concevoir des options compatibles avec nos besoins respectifs. C’est la clé pour dénouer l’apparente « impasse » et éviter les compromis arithmétiques qui laissent chacun à moitié insatisfait.
4) L’empathie : condition de réussite
Sans posture empathique, l’application des « 4 étapes » devient mécanique. L’empathie est une écoute active centrée sur ce que vit l’autre : compréhension cognitive (ce qu’il dit) et résonance affective (ce qu’il ressent), tout en gardant la distinction soi/autrui. Concrètement, on vérifie des hypothèses sur ses sentiments et besoins : « Quand tu dis X, tu te sens Y et tu aurais besoin de Z, c’est bien cela ? ». Cette vérification sécurise et aide l’autre à affiner ce qu’il vit. S’abstenir de juger, conseiller, relativiser ou parler de soi trop tôt est un prérequis pour que l’autre « déplie » son expérience.
5) Application en médiation et négociation
Contrairement aux idées reçues, les litiges commerciaux ne sont pas « purement rationnels » : derrière chaque contrat, il y a des personnes, avec leurs craintes, fiertés et attentes. La CNV permet au médiateur d’installer un cadre lisible : distinguer faits/interprétations, relier propos, sentiments et besoins, et traduire les reproches en demandes concrètes. En pratique :
Caucus préparatoires. Se connecter aux besoins de chacun (parties et conseils) avant la plénière crée un socle de confiance et de neutralité perçue.
Restitutions en plénière. Le médiateur reformule les besoins perçus, ce qui facilite l’écoute mutuelle, même si un désaccord persiste sur les solutions.
Prise en compte des avocats. Les conseils ont aussi des besoins légitimes (utilité, reconnaissance, sécurité, efficacité). Les expliciter prévient les crispations de rôle et améliore la qualité des échanges.
Dans des configurations asymétriques (PME vs. grand groupe), la CNV aide à faire exister la personne réellement concernée et à reconnaître, chez le représentant de la société la plus « importante », ses propres contraintes et besoins (temps, priorités, image professionnelle). Reconnaître ne signifie pas approuver : cela signifie comprendre ce qui se joue pour pouvoir co-élaborer des demandes opérationnelles.
6) Dimension « réparatrice »
Même lorsqu’un incident a été mal géré « sur le moment », la CNV reste opérante a posteriori : l’« observation » de l’échange insatisfaisant devient point de départ d’un dialogue restauratif. Le temps de préparation permet d’identifier ses sentiments/besoins et de formuler des hypothèses prudentes sur ceux de l’autre, avant de revenir vers lui avec une demande claire (de connexion ou d’action). Cette approche transforme des interactions figées en occasions d’apprentissage relationnel.
Cette dimension réparatrice est ce qui en fait tout l’intérêt dans le cadre de négociations ou de médiation commerciale.
[1] Pour une plus longue version de cet article et des références plus complètes, voy. https://www.paxalis.org/cnv-et-mediation
[2] Orthographe particulière constituant la traduction de NonViolent Communication, marque déposée.